lundi 16 février 2009

Obama et le monde extérieur

« Barack Obama nous mène tout droit au socialisme. Nous ne voulons pas de l'européanisation de l'Amérique. » La formule a été utilisée la semaine dernière par le chef de la minorité républicaine au Sénat, le sénateur Mitch McConnell, pour justifier son opposition au programme économique du nouveau président.

Le rapport de l'Amérique au monde a toujours été complexe, un mélange d'idéalisme, de méfiance et d'indifférence. Entre intervenir dans le monde pour le rendre meilleur, sauver le monde pour sauver l'Amérique ou réformer l'Amérique pour préserver sa place dans le monde, l'Amérique n'a pas toujours su quelle voie choisir.

Dans leur rapport au monde, les différences semblent considérables entre l'Amérique de Bush et celle d'Obama. Au mépris arrogant de 2001 s'est substitué l'appel au multilatéralisme de 2009. Mais ce qui, fondamentalement, n'a pas changé, c'est l'attitude des Américains face au monde.

Certes, aux informations télévisées, il est fait - brièvement - mention du monde extérieur ; cette semaine, de la Corée du Nord et de ses missiles, de l'Iran et de sa diplomatie, d'Israël et de ses élections, et bien sûr toujours de l'Afghanistan et de l'Irak.

Mais il est clair que ce qui passionne l'Amérique, plus que jamais, c'est elle-même.

Il y a un contraste saisissant entre la fascination que l'Amérique, surtout celle d'Obama, exerce sur le monde et le regard distant que l'Amérique porte sur ce même monde.

Aux yeux de l'immense majorité des Américains, la vraie guerre, ce n'est pas en Afghanistan qu'elle se joue, après l'Irak qui est clairement passé au second plan, c'est « à la maison ».

Le défi, ce ne sont pas les talibans, c'est le chômage. Envoyer des troupes supplémentaires en Afghanistan - si possible des contingents étrangers - c'est bien, mais cela ne saurait distraire l'Amérique de ses responsabilités principales qui consistent à remettre de l'ordre chez elle.

L'Amérique n'a d'ailleurs pas le choix. Quelle serait sa légitimité internationale si son économie continuait à s'enfoncer sans fin ? Redonner confiance aux Américains et relancer la machine économique sont légitimement les premières priorités de politique étrangère des Etats-Unis.

Et, pourtant, il n'en existe pas moins en Amérique une contradiction profonde entre le discours des élites qui répètent à l'envi que leur pays a vocation à guider le monde et celui des habitants qui, dans leur immense majorité, considèrent le monde au mieux avec indifférence et au pire comme une distraction, sinon comme une menace.

En ce début d'année 2009, le monde ne doit pas trop attendre de l'Amérique, et ce pour une double raison. La première tient précisément au regard plus distancié que jamais d'une Amérique qui souffre.

La seconde est - à court terme au moins - plus grave encore. Entre « l'audace de l'espoir » prêchée avec tant de conviction par Barack Obama et l'aggravation de la peur économique, l'espoir est loin de l'emporter.

Si l'Amérique donne toujours le « ton » du monde, si les événements qui s'y produisent, si les sentiments qui s'y expriment constituent toujours une préfiguration de ce que l'Europe va connaître dans quelques mois, sinon quelques semaines, alors nous devons, nous Européens, nous préparer à des jours difficiles.

Avant de commencer à rebondir, l'Amérique va d'abord continuer à souffrir davantage encore. La Terre promise de la reprise économique est sans doute à l'horizon, mais la tempête est plus forte encore qu'on ne pouvait le craindre.
L'Amérique est certes en avance sur nous, mais c'est sur le plan de la profondeur de la crise.

Et il existe aujourd'hui comme une contradiction presque trop visible entre le « message » de Barack Obama et le profil de ses « messagers ». Le nouveau secrétaire d'Etat au Trésor, Timothy F. Geithner, paraît bien « tendre » pour faire face aux énormes responsabilités qui sont les siennes.


A moyen terme, c'est-à-dire au moins pour deux ans, il est raisonnable de ne pas trop attendre de l'Amérique. Le problème, c'est que du Moyen-Orient à l'Asie, en passant par la Russie, « le temps ne va pas suspendre son vol » en attendant que l'Amérique ait repris son souffle.

Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Ifri, est professeur invité à l'université de Harvard

Analyse : Etats-Unis, l’élection du premier président afro-américain bouscule en profondeur les relations raciales.

«Obama force les Noirs à se remettre en cause»

Le président Obama qui a fait du «changement» son slogan, et de l’«unité» son idéal social, compte bien bouleverser les rapports entre Noirs et Blancs. «Lorsque je serais président, […] la dynamique raciale de ce pays va changer jusqu’à un certain degré, prédisait Barack Obama en 2007 devant l’Association nationale des journalistes noirs. Cela va changer la manière dont les enfants blancs vont considérer les enfants noirs, et la manière dont les enfants noirs vont considérer les enfants blancs. En un mot, cela va changer la façon dont l’Amérique se voit.»

Wilbur Rich, professeur afro-américain de sciences politiques à Wellesley College, près de Boston, explique à quel point le premier président noir des Etats-Unis peut renouveler en profondeur le tissu social. «La question raciale a tellement été au centre de l’histoire de ce pays qu’on peut dire qu’elle imprègne toute la culture américaine. La présidence Obama est un moment capital pour asseoir les bases d’une société post-raciale.» Une fantastique opportunité pour une Amérique qui revient de loin, puisque même la Maison Blanche et le Capitole ont été principalement construits par des esclaves, et qui est loin d’être guérie de ses turpitudes raciales.

«La discrimination flagrante est sur le déclin depuis assez longtemps, mais une discrimination plus subtile perdure et perdurera sans doute encore longtemps. Elle se manifeste lorsqu’un Noir dans une entreprise n’est pas informé de la création d’un poste alors que tous les Blancs le sont… Lorsqu’un Noir, même en costume-cravate, est suivi par un vigile pour s’assurer qu’il ne vole rien dès qu’il entre dans un grand magasin. Ou lorsque je hèle un taxi et que celui-ci ne s’arrête pas…» confie l’universitaire en rapportant des vexations qu’il a lui même subies.

Celui-ci, qui s’est rendu à Washington le 20 janvier pour assister à la cérémonie d’investiture du nouveau président, dresse sans détour le portrait d’un pays dont on pourrait s’étonner qu’il ait élu un président noir : «Les Noirs et les Blancs ne vivent généralement pas dans les mêmes quartiers. Souvent, on ne laisse pas les enfants blancs jouer avec les enfants noirs. Le dimanche demeure plus que jamais le jour le plus discriminatoire car les Noirs et les Blancs ne fréquentent pas les mêmes églises. Très peu de lieux de cultes sont racialement mixtes. Il arrive souvent que de jeunes Blancs rencontrent vraiment de jeunes Noirs pour la première fois à l’université, ou sur un terrain de basket. Cette ségrégation de fait débouche sur des visions stéréotypées. Beaucoup de Blancs découvrent tardivement que les Noirs sont des êtres humains comme les autres. A la Maison Blanche, la famille Obama va contribuer à briser ces stéréotypes malsains qui empoisonnent encore notre société.»

«Pays de blancs». Le professeur de sciences politiques, auteur d’une dizaine d’ouvrages traitant des relations raciales, avoue ne pas avoir cru, jusqu’au dernier moment, qu’Obama serait élu président, le 4 novembre, face au républicain John McCain. «Je suis assez vieux pour me rappeler du mouvement pour les droits civiques, et je n’aurais jamais cru pouvoir vivre assez longtemps pour voir un moment pareil. Je m’étais dit que si Obama arrivait à devenir ne serait-ce que vice-président, ce serait une révolution.» Il ajoute : «C’est vraiment la réalisation du rêve de Martin Luther King qui avait présenté les Etats-Unis comme la terre promise.»

Pour la communauté noire, l’élection d’un président noir est une source d’immense fierté, mais c’est aussi pour beaucoup le catalyseur d’une très profonde remise en cause de leur identité. «Le sentiment de marginalisation est très présent. Je connais beaucoup de Noirs qui refusent de prêter allégeance au drapeau, ou qui ne se considèrent pas comme des citoyens américains à part entière, car ils estiment que leurs droits ne sont pas pleinement garantis. Pour eux, les Etats-Unis sont un pays de Blancs qu’il faut subir. Ils estiment que ce pays ne leur a jamais pleinement permis de réaliser leur potentiel, et ils se voient entravés par un système politique et économique destiné à les isoler, à les stéréotyper. La victoire de Barack Obama les force à remettre en cause leur attitude, et à reconnaître que les Etats-Unis sont réellement multiculturels et que c’est effectivement, bel et bien, leur pays», conclut Wilbur Rich.

«Distance». «Beaucoup de Noirs sont dans la nouvelle administration : cela va changer la perception que les gens ont des minorités, tout en leur donnant l’espoir qu’elles pourront participer désormais pleinement à la vie politique», confirme Marion Just, une universitaire de Boston. Les Noirs, surtout, voient s’éloigner cette sorte de distance méfiante que manifestent les Blancs à leur égard.»

WASHINGTON, de notre correspondant PHILIPPE GRANGEREAU (liberation.f)

vendredi 13 février 2009

L’AFRIQUE, OBAMA ET LES REVES DE SON PERE.

Il est noir, son père était kényan, donc il ne peut qu’être sensible et attentif aux problèmes de l’Afrique. Pour le moins sommaire, ce raisonnement sera-t-il confirmé par les actes du nouveau locataire de la Maison Blanche ? Le continent noir sera-t-il l’une de ses top priorities ?
Du Sénégal au Kenya, du Zimbabwe au Tchad en passant par le Congo, les Africains le souhaitent ardemment.

Le premier président noir des Etats-Unis symbolise pour beaucoup une forme de revanche sur les injustices de l’Histoire : traite des esclaves, colonisation, barbouzeries en tous genres, pillage des ressources naturelles par les multinationales…

Mais, premier constat, en forme de paradoxe, Barack Obama connaît peu l’Afrique. En 1987, déjà âgé de 26 ans, il s’est rendu pour la première fois au Kenya, la patrie de son père, décédé six ans auparavant dans un accident. Ce voyage initiatique où il fait la connaissance de sa famille africaine, de ses racines et des problèmes dans lesquels se débat le continent, tel que le tribalisme, il l’a raconté avec émotion dans un livre (1).

Il y est retourné deux fois, notamment en 2006 en tant que sénateur de l’Illinois. Même si l’Afrique est loin de l’indifférer le 44e président des Etats-Unis a, d’emblée, été happé par d’autres dossiers, à commencer par ceux du Proche-Orient, de l’Afghanistan et de l’Iran.
Et l’Afrique ? Jusqu’ici, il s’est contenté d’appeler son homologue sud-africain, Kgalema Motlanthe. Dès lors, il est un peu tôt pour savoir s’il va rompre avec la politique suivie par son prédécesseur.

Le 13 janvier, lors de son audition au Congrès en vue de sa nomination au poste de secrétaire d’Etat, Hillary Clinton en a toute de même livrée une première ébauche. Elle a évoqué à propos de l’Afrique les «failed states», ces Etats moribonds qui «constituent un terrain propice, non seulement aux pires abus, qu’il s’agisse de massacres, de viols, de l’indifférence aux maladies et d’autres calamités, mais aussi une invitation pour les terroristes à trouver refuge dans le chaos».

Un discours que n’aurait pas renié George W. Bush. Car, durant ses deux mandats, ce dernier a abordé le continent principalement sous deux angles : médico-humanitaire et antiterroriste. Il a mis en place un ambitieux programme de lutte contre le sida, salué par les experts, et que son successeur, selon toute vraisemblance, va perpétuer.

Pour le reste, sous la direction de Bush, les Etats-Unis se sont surtout employés à surveiller de près un continent susceptible d’abriter des groupes affiliés à Al-Qaeda. Ils n’ont pas oublié que le réseau de Ben Laden avait signé son entrée sur la scène terroriste par les attentats en 1998 au Kenya et en Tanzanie. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont lancé un programme de surveillance et d’assistance dans la bande du Sahel, soupçonnée d’être infiltrée par des réseaux islamistes.

Ils ont également installé une base militaire à Djibouti, dans la corne de l’Afrique, l’une des régions les plus instables du continent.

Par ailleurs, Washington veille à sécuriser son approvisionnement en pétrole en provenance du golfe de Guinée et d’Angola. Les Etats-Unis, qui importent d’Afrique actuellement 10 % de leur brut, espèrent atteindre le seuil des 25 % d’ici à 2015. Ce qui leur permettrait de réduire leur dépendance vis-à-vis d’un Proche-Orient imprévisible.

Traumatisés par leur échec en Somalie au début des années 90, ils hésitent, depuis, à s’impliquer sur le sol africain. A Mogadiscio, ce sont les Ethiopiens qui se sont chargés de chasser, en 2006, les Tribunaux islamiques, tandis que les Américains, à l’aide de drones, surveillent au jour le jour la zone. Au Liberia, ils sont parvenus, par l’entremise du Nigeria, à chasser du pouvoir Charles Taylor en 2003.

Le seul véritable conflit pour lequel l’administration Bush s’est vraiment mobilisée est celui du Soudan. Au prix d’intenses efforts diplomatiques, elle est parvenue à mettre fin à une guerre de vingt ans entre le Nord et le Sud. Problème : au même moment, le Darfour était le théâtre d’une campagne de répression sanglante contre des populations civiles soupçonnées de soutenir les rebelles. Mais Washington a sciemment décidé de l’ignorer pour conclure les négociations. Par la suite, les responsables de l’administration Bush n’ont cessé de dénoncer le «génocide» commis par Khartoum contre les communautés négro-africaines.

Durant la campagne, Barack Obama, qui s’est rendu il y a deux ans dans des camps de réfugiés dans l’est du Tchad, a réitéré son engagement à multiplier les pressions sur le régime d’Omar El-Béchir pour tenter de mettre fin au bain de sang au Darfour.

Comment compte-t-il y parvenir ? La nomination comme ambassadeur aux Nations-Unies de Susan Rice fournit une première indication. Ancienne du Conseil de sécurité nationale de Bill Clinton, où elle était chargée des affaires africaines, cette diplomate de 44 ans devrait mettre en œuvre une approche multilatérale des conflits.

Le soutien de la Chine est en effet déterminant pour trouver une solution au Soudan, comme au Zimbabwe de Robert Mugabe.

Le premier effet tangible de la victoire d’Obama aux Etats-Unis est finalement d’avoir donné des idées aux Africains. Ces derniers espèrent voir émerger leurs propres Obama : une nouvelle génération de dirigeants capables de mettre fin à la corruption qui ronge nombre de pays et de transcender les clivages politico-ethniques pour servir l’intérêt général.

Ce n’est pas gagné, si l’on en croit l’écrivain mozambicain Mia Couto, cité par Courrier international : «Si Obama avait été africain, un de ses concurrents, au pouvoir, aurait inventé une révision constitutionnelle pour prolonger son mandat…»

Il conclut : «La joie que les 5 millions d’Africains ont ressentie le 5 novembre est née parce qu’ils ont vu en Obama exactement le contraire de ce qu’ils connaissent avec leurs dirigeants.»

(1) Les Rêves de mon père, Presses de la Cité, 2008.
AUTEUR:www.liberation.fr
2009-02-13 12:22:06