« Barack Obama nous mène tout droit au socialisme. Nous ne voulons pas de l'européanisation de l'Amérique. » La formule a été utilisée la semaine dernière par le chef de la minorité républicaine au Sénat, le sénateur Mitch McConnell, pour justifier son opposition au programme économique du nouveau président.
Le rapport de l'Amérique au monde a toujours été complexe, un mélange d'idéalisme, de méfiance et d'indifférence. Entre intervenir dans le monde pour le rendre meilleur, sauver le monde pour sauver l'Amérique ou réformer l'Amérique pour préserver sa place dans le monde, l'Amérique n'a pas toujours su quelle voie choisir.
Dans leur rapport au monde, les différences semblent considérables entre l'Amérique de Bush et celle d'Obama. Au mépris arrogant de 2001 s'est substitué l'appel au multilatéralisme de 2009. Mais ce qui, fondamentalement, n'a pas changé, c'est l'attitude des Américains face au monde.
Certes, aux informations télévisées, il est fait - brièvement - mention du monde extérieur ; cette semaine, de la Corée du Nord et de ses missiles, de l'Iran et de sa diplomatie, d'Israël et de ses élections, et bien sûr toujours de l'Afghanistan et de l'Irak.
Mais il est clair que ce qui passionne l'Amérique, plus que jamais, c'est elle-même.
Il y a un contraste saisissant entre la fascination que l'Amérique, surtout celle d'Obama, exerce sur le monde et le regard distant que l'Amérique porte sur ce même monde.
Aux yeux de l'immense majorité des Américains, la vraie guerre, ce n'est pas en Afghanistan qu'elle se joue, après l'Irak qui est clairement passé au second plan, c'est « à la maison ».
Le défi, ce ne sont pas les talibans, c'est le chômage. Envoyer des troupes supplémentaires en Afghanistan - si possible des contingents étrangers - c'est bien, mais cela ne saurait distraire l'Amérique de ses responsabilités principales qui consistent à remettre de l'ordre chez elle.
L'Amérique n'a d'ailleurs pas le choix. Quelle serait sa légitimité internationale si son économie continuait à s'enfoncer sans fin ? Redonner confiance aux Américains et relancer la machine économique sont légitimement les premières priorités de politique étrangère des Etats-Unis.
Et, pourtant, il n'en existe pas moins en Amérique une contradiction profonde entre le discours des élites qui répètent à l'envi que leur pays a vocation à guider le monde et celui des habitants qui, dans leur immense majorité, considèrent le monde au mieux avec indifférence et au pire comme une distraction, sinon comme une menace.
En ce début d'année 2009, le monde ne doit pas trop attendre de l'Amérique, et ce pour une double raison. La première tient précisément au regard plus distancié que jamais d'une Amérique qui souffre.
La seconde est - à court terme au moins - plus grave encore. Entre « l'audace de l'espoir » prêchée avec tant de conviction par Barack Obama et l'aggravation de la peur économique, l'espoir est loin de l'emporter.
Si l'Amérique donne toujours le « ton » du monde, si les événements qui s'y produisent, si les sentiments qui s'y expriment constituent toujours une préfiguration de ce que l'Europe va connaître dans quelques mois, sinon quelques semaines, alors nous devons, nous Européens, nous préparer à des jours difficiles.
Avant de commencer à rebondir, l'Amérique va d'abord continuer à souffrir davantage encore. La Terre promise de la reprise économique est sans doute à l'horizon, mais la tempête est plus forte encore qu'on ne pouvait le craindre.
L'Amérique est certes en avance sur nous, mais c'est sur le plan de la profondeur de la crise.
Et il existe aujourd'hui comme une contradiction presque trop visible entre le « message » de Barack Obama et le profil de ses « messagers ». Le nouveau secrétaire d'Etat au Trésor, Timothy F. Geithner, paraît bien « tendre » pour faire face aux énormes responsabilités qui sont les siennes.
A moyen terme, c'est-à-dire au moins pour deux ans, il est raisonnable de ne pas trop attendre de l'Amérique. Le problème, c'est que du Moyen-Orient à l'Asie, en passant par la Russie, « le temps ne va pas suspendre son vol » en attendant que l'Amérique ait repris son souffle.
Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Ifri, est professeur invité à l'université de Harvard
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